Raconte-moi une histoire Spécial
«On a tellement besoin d’histoires / Quand il paraît qu’on a vingt ans», chantait Jacques Brel en se mettant dans la peau d’un jeune désorienté par la dislocation de sa famille (Quand ma maman reviendra). Cette phrase mal assurée met en avant la fragilité du personnage: les histoires ne sont-elles pas plutôt destinées aux enfants?
Non. Et sans doute est-ce un marqueur fort de notre humanité: nous avons tous tellement besoin d’histoires. Parce qu’une histoire, c’est une main qu’on nous tend pour échapper à la grisaille d’un jour plus compliqué que les autres, un ailleurs, un moment hors des soucis de la vie. Comme elle peut être une invitation à s’instruire ou à s’amender – songez à une mésaventure d’un proche ou à la pauvre chèvre de Monsieur Seguin. A ce besoin constant d’entendre ou de lire des histoires répond un semblable besoin d’en raconter. Pas forcément celui de se raconter, auquel on doit trop de récits autobiographiques, mais celui d’entrer en relation avec l’autre.
Une histoire, c’est une main qu’on nous tend.
Car une histoire est une graine que l’on sème – comme les paraboles du Christ qui ne recourait pas au modèle thèse-antithèse-synthèse. Elle suscite quelque chose en nous, qui n’y sommes pas plus indifférents que les enfants: un sourire, de l’empathie, un haussement d’épaules, de l’agacement. Elle nous ouvre l’esprit, amène des questions et peut-être même nous change, un peu, parfois.
Quand nous ne les voyons pas sur des écrans de toutes tailles, nous lisons les histoires dans les journaux et dans les livres ou nous les entendons à la radio, au bistrot, à la maison. Et elles sont toujours présentes à l’école, en salle de classe ou en extérieur, grâce à la poésie et à la nature. Les histoires sont partout, et en disent long, même celles que l’on réduit à des contes pour enfants, parfois de manière hâtive: c’est le cas du Petit prince, paru il y a quatre-vingts ans et toujours actuel, qui recèle des vérités profondes. Saint-Exupéry se demandait ce qu’il fallait, ce qu’on pouvait dire aux hommes; il savait en tout cas comment leur parler: en leur racontant des histoires.